Avant d’aborder le fonds du sujet je voudrais dire qu’en plaçant la déontologie avant la philosophie pour évoquer les positions éthiques on fait une erreur : la déontologie vient après l’éthique, non parce qu’elle lui est supérieure, mais parce qu’elle en est l’émanation.
Etymologiquement, la déontologie est la science de ce qu’il convient de faire. Le terme a été créé en 1834 par Jeremy Bentham pour désigner ce qu’il appelait l’arithmétique des plaisirs qui lui permettait de décider de l’action à accomplir d’après la mesure des valeurs propres à chaque plaisir. Ce terme a été utilisé ensuite pour désigner le code moral des règles propres à une profession.
Le Code de déontologie médicale résulte de la confrontation du droit, de la culture en un lieu et un moment donnés et de l’éthique. Comme vous le savez, éthique et morale sont considérées en général comme synonymes, le premier terme impliquant une certaine technicité philosophique. Comme l’écrit Paul Ricœur, il faut distinguer d’une part l’intention éthique qui précède la loi morale dont elle assure le fondement et aborde des concepts fondamentaux et, d’autre part la morale qui a trait aux mœurs et aux normes de conduite.
On ne peut aboutir à des règles déontologiques sans évoquer les valeurs prescrivant des normes à la conduite mais qui recouvrent des conceptions différentes ou opposées selon les philosophes.
Retenons pour ce qui concerne la médecine
le vrai, le bien, la liberté :
- la vérité en ce sens où elle consiste à affirmer ce qui existe et à nier ce qui n’existe pas d’où le devoir d’informer ;
- le bien opposé au mal, c'est-à-dire tout ce qui peut affecter un individu, le blesser, le faire souffrir, lui nuire ;
- la liberté physique mais aussi la liberté de pensée et d’expression.
Il se trouve qu’en médecine ces diverses valeurs peuvent se heurter entre elles d’où des conflits ;
le débat éthique est nécessairement un choix
Dire la vérité à un malade peut faire du mal, respecter sa liberté peut aussi avoir un effet nocif pour lui.
Le Code de Déontologie médicale tient compte de ces valeurs, de ces débats et n’oublie pas les limites des décisions humaines et, en quelques articles tente de donner des règles de conduite qui, elles-mêmes, peuvent susciter des interprétations et des débats. Du reste le Code de Déontologie évolue en raison des avancées de la médecine et des changements des mœurs. Les règles qu’il édicte doivent servir de repère en toutes circonstances et en particulier pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui à savoir les bouleversements familiaux liés à l’apparition d’un cancer chez l’un de ses membres.
La maladie et les relations familiales
Les relations déjà compliquées dans une famille sont modifiées à toutes les étapes de la maladie : lors de l’élaboration du diagnostic et de son annonce, puis au cours de l’évolution quand il faut choisir un traitement, décider de le modifier ou de l’arrêter, puis s’il faut faire part d’un pronostic fatal. Si le malade décède le travail du médecin n’est pas pour autant achevé et d’autres problèmes déontologiques peuvent se poser.
Le cancer dans une famille est vécu comme une injustice et entraîne un sentiment de révolte. L’équilibre familial est bouleversé, il apparaît un climat d’insécurité aussi bien pour le patient que son entourage. Un sentiment, plus ou moins conscient, de culpabilité plane. Le patient se voit faire défaut à sa famille et ce d’autant plus qu’il peut se reprocher un mode de vie qui a facilité l’éclosion du cancer. Quant à la famille elle peut avoir le complexe du survivant.
Dans les familles désunies la maladie grave d’un de ses membres est un facteur de désarroi : un enfant risque de se retrouver seul, les ressources de se réduire. Dans d’autres cas la disparition d’un parent a été inconsciemment souhaitée d’où certains tourments lorsque la réalité rejoint le désir.
Le Code de Déontologie médicale ainsi que la loi du 4 mars 2002, et aussi notre bon sens et notre expérience orientent notre comportement dans la plupart de ces cas.
En restant proche des valeurs dont il a été question on peut dire que ce qui découle du vrai va concerner ce qui a trait à l’information du patient et de sa famille et au secret médical.
La notion de liberté nous renvoie au consentement éclairé du patient et au refus des soins.
Quant aux notions de bien et de mal, elles nous imposent d’apporter au patient les meilleurs soins, de le soulager à défaut de le guérir sans s’acharner dans des démarches diagnostiques et thérapeutiques déraisonnables. Si l’application de ces règles est déjà délicate dans le face à face avec le patient, elle devient de plus en plus difficile dès lors qu’il faut tenir compte des membres de la famille qui, complication supplémentaire, n’ont pas toujours des points de vue concordants.
Le secret professionnel
Le secret professionnel (article 4 du C.D.M.) est « institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions prévues par la loi ». Bien entendu le secret n’est pas opposable au patient qui, à tout instant, peut exiger d’être informé de son état. De plus il ne peut délier le médecin de son secret. Mais, dès qu’il s’agit de maladies graves les choses sont plus délicates. Le patient peut demander à ce que son état de santé ne soit pas divulgué à sa famille alors que cette dernière veut savoir.
Le médecin est donc devant un dilemme : il ne peut trahir son malade, mais il lui est difficile de dissimuler certains faits à la famille qui, de plus, pourra par la suite se plaindre des conséquences de ce secret. Le Code de Déontologie nous éclaire, mais pas entièrement ; l’article 35 dit : « Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent être prévenus, sauf exception ou si le malade a préala-
blement interdit cette révélation... ».
On peut aussi voir la situation suivante : celle qui autorise à tenir un malade dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave alors que l’entourage peut être prévenu. Quand le médecin estime que la révélation du diagnostic peut avoir un effet catastrophique, il doit se résoudre à dissimuler la vérité mais temporairement.
A l’heure actuelle cette situation est moins fréquente qu’il y a 30 ou 40 ans : les malades sont beau-
coup mieux informés et comprennent rapidement
la nature de leur pathologie. Autrefois il était courant et, curieusement facile de faire croire à un malade même instruit et ce jusqu’à la fin, qu’on lui faisait des rayons anti-inflammatoires, qu’il n’avait donc pas de cancer. Seule la famille était dans le secret mais pas toujours !